Le Criquet N°273 - Un cerveau à l'écoute
Voici mon dernier rédactionnel paru dans le Criquet magazine N°273 de mars 2024 en page 6.
Un cerveau à l’écoute
L’audition est un sens commun à tous les mammifères. Les ondes sonores font vibrer le tympan puis l’oreille interne. Les sons sont ainsi transformés en une activité électrique qui sera transmise par les neurones jusqu’au lobe temporal, qui se trouve derrière l’oreille. L’information va alors se répartir dans plusieurs autres zones du cerveau et cheminer jusqu’au cortex frontal où ces événements seront interprétés en bruit ou en musique quelques millisecondes après leur émission. Pour le musicien, les sons qu’il émet seront le fruit de ses gestes ou de sa voix. Lorsqu’on observe un virtuose, on a souvent l’impression que ses doigts bougent tout seul et qu’aucun effort ne semble nécessaire. Or, c’est la face apparente d’un processus complexe. Les mouvements automatiques des doigts sont gérés par le cerveau primaire, celui des réflexes archaïques. Pour qu’un musicien puisse se concentrer sur l’expression et l’émotion de sa musique, il faudra qu’il répète intensément ce qu’il doit jouer afin que ses gestes deviennent entièrement instinctifs. Tout comme la marche à pied qui nous permet souvent de penser, de réfléchir (Beethoven marchait beaucoup) en même temps que nous avançons. Ce qui montre bien que le cerveau peut se concentrer sur l’imaginaire tout en exécutant des gestes automatiques. Afin d’ancrer la bonne manière de jouer un morceau de musique dans le subconscient, le musicien devra d’abord pratiquer avec une extrême lenteur. Dans cette phase d’apprentissage, le cerveau est en effet sollicité de façon intense, c’est pourquoi seule la lenteur permettra de faire les bonnes connections. En étant décomposés et analysés en détail lors de l’entrainement, les gestes seront alors précisément gravés dans la mémoire primaire cérébrale. Au contraire, pratiquer trop vite habituera le cerveau à un jeu superficiel et confus et le résultat sera contre-productif. On reconnait un virtuose au fait qu’il ne pense plus à ses gestes mais à la manière d’interpréter sa musique, en y en mettant le plus d’émotion et de sens possible. Cette sensibilité émotionnelle est ce qui donne de l’âme à une interprétation. C’est elle qui fait la force des grands musiciens.
Olivier Mesnier, Professeur de guitare et musicien