Le Criquet N°272 - Révolution ou involution musicale ?
Voici mon dernier rédactionnel paru dans le Criquet magazine N°272 de février 2024 en page 4.
Révolution ou involution musicale ?
“La musique c’est du bruit qui pense” : cette citation célèbre de Victor Hugo se voit aujourd’hui contrariée par l’arrivée toute récente de l’intelligence artificielle (IA). Car si la pensée est le propre de l’homme, l’IA est désormais capable de produire de la musique par l’intermédiaire d’un algorithme. Il existe aujourd’hui des logiciels d’IA qui conçoivent des morceaux de musique instantanément en suivant vos instructions : votre état émotionnel, le style que vous souhaitez entendre, ou encore la destination de cette musique (pour illustrer une vidéo par exemple). Ces logiciels sont d’ailleurs reconnus comme des compositeurs à part entière par la Sacem et collaborent à des projets prestigieux (jeux vidéos, films d’animation, etc.). Une intelligence artificielle a même complété en 2019 la 10ème symphonie de Beethoven, restée à l’état de fragments inachevés par le musicien. Et si ces algorithmes sont à présent capables de générer, sans que l’on puisse détecter le vrai du faux, n’importe quel morceau de musique, c’est parce qu’on les a « éduqués » en injectant dans leurs circuits la totalité du patrimoine musical ainsi que toutes les règles de composition et les lois régissant la musique. Exemple : la plateforme musicale Deezer a obtenu un succès international avec « Heart on My Sleeve » de Drake et The WeeKnd sans que les auditeurs ne sachent que la chanson était générée par une machine. L’inconvénient de l’IA est qu’elle prive la musique du génie humain capable de transcender les règles pour créer une révolution musicale (comme l’ont fait Scarlatti, Bach, Debussy, le rock ou le rap par exemple). Ce n’est qu’un début, un embryon de ce que notre futur musical sera, malgré les promesses de régulation européenne qui seront vraisemblablement entravées par les intérêts des industriels et des marchés financiers. D’ici une poignée d’années, nous risquons fort de perdre la main par notre indifférence et de glisser vers un monde ou la musique ne sera plus qu’un bavardage sans inspiration, où les arts ne seront plus le fruit de l’homme mais dictés par le profit mercantile. Alors, profitons des concerts que nous avons autour de nous et de la possibilité d’apprendre la musique avant qu’une machine ne le fasse à notre place.
Olivier Mesnier, Professeur de guitare et musicien