Le Criquet N°253 - La musique : ça s'improvise
Voici mon dernier rédactionnel paru dans le Criquet magazine N°253 de mai 2022 en page 4.
La musique : ça s’improvise
Quel dommage que l’improvisation musicale soit une pratique qui ait quasiment disparue de la musique classique. Pourtant, avant le XIXe siècle, tous les musiciens savaient improviser et c’est par leur aptitude dans cet art qu’on jugeait de leurs compétences. Bach en était un brillant exemple. Beethoven improvisait la plus grande partie de ce qu’il jouait lorsqu’il faisait un concert. C’est d’ailleurs en improvisant qu’il saura à 17 ans se faire remarquer de Mozart et forger son destin. Chopin rémunérait un transcripteur pour noter sur le papier ce qu’il improvisait afin de s’en souvenir. Au XVIIIe siècle, les défis et les concours d’improvisation étaient très fréquents et exprimaient toute la qualité d’un artiste. Que s’est-il alors passé pour qu’au XIXème siècle le musicien ne sache plus improviser? La musique est un langage et ne pas savoir s’exprimer librement, c’est perdre la source de cet art. Imaginons qu’il nous soit impossible de penser par nous-mêmes ; qu’il nous soit juste permis de réciter, à la virgule près, ce que nous avons lu auprès d’un inaccessible auteur. On ne comprend vraiment une langue qu’en sachant la parler, l’utiliser pour transmettre ses propres émotions et idées. S’il n’improvise pas, l’artiste perd la moitié de son cerveau, sa partie créative ; il devient un simple exécutant. Souvent, dans l’apprentissage de la musique classique, le musicien apprend pendant des années une technique solide et extrêmement exigeante. Le but serait-il alors d’être simplement en capacité de lire au mieux le manuscrit d’un compositeur dont pas une note ne doit être changée? Pratiquer la musique uniquement en lisant des notes et oublier la liberté d’improvisation est sans doute le grand drame de la musique en Occident. La musique n’aime pas qu’on l’enferme, elle ne doit pas être statique mais dynamique. L’art doit être création et renouvellement. Heureusement, d’autres formes de musiques telles que le jazz , le blues mais aussi les “musiques du monde” issues d’autres cultures sont avant tout issues de l’inspiration spontanée de l’artiste. C’est au musicien de décider d’ouvrir ses oreilles et de réapprendre à développer sa créativité en allant bien au-delà des partitions. Non pas en jetant les pages magnifiques que de grands musiciens ont écrit auparavant mais en cherchant à en comprendre le sens et la structure. Par leur modèle, c’est se donner les moyens de créer à notre tour et pouvoir alors transmettre une musique libre d’expression.
Olivier Mesnier