Le Criquet N°250 - La musique d'ameublement
Voici mon dernier rédactionnel paru dans le Criquet magazine N°250 de février 2022 en page 4.
Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez ressenti une profonde émotion à l’écoute d’un morceau de musique ? Une émotion telle qu’elle a modifié votre état de conscience et vous a transporté hors du temps qui passe, de votre réalité présente. La musique est source d’émotions et de nombreux bienfaits mais trop de musique peut nous rendre apathique. Tout comme la “malbouffe” a des effets dévastateurs, le matraquage de productions musicales dans nos activités journalières est aussi un fléau dont on a peu conscience. Au quotidien, l’air de rien, nous subissons la musique dans les supermarchés, à la télévision, dans les ascenseurs, les rues piétonnes, les gares… Ou nous la réduisons à un fond sonore au travail, pendant le jogging, dans les baladeurs ou durant nos conversations. Une «musique d’ameublement» (1) comme la qualifiait Erik Satie en 1920. Ce compositeur atypique en avait composé à l’époque pour disait-il «décorer l’ambiance», mais le public – habitué justement à une écoute active – l’avait trop bien entendue et l’expérience fut un échec. La diffusion de musique dans les lieux publics a commencé vraiment vers 1960 avec une très nette accélération dans les années 1990 (2). Comme le conclut le musicologue britannique, Adrian North, dans ses travaux (3) : “le degré d’accessibilité et de choix a entrainé une dérive vers des attitudes passives à l’encontre de l’écoute de musique au quotidien”. En somme : plus on écoute de musique avec passivité et moins on y devient sensible. Selon cette même étude, la génération mp3 n’éprouverait plus d’engagement émotionnel profond à l’écoute de la musique et sa diffusion rendue trop facile est alors prise pour acquise. On est loin du xixᵉ siècle, où la musique était perçue comme un «trésor de grande valeur avec des pouvoirs fondamentaux et presque mystiques de communication humaine” (Ibid.). Aujourd’hui où tous les styles et genres musicaux sont à portée de clic, elle est devenue un consommable, une commodité qui se distribue comme n’importe quel autre produit. Si nous apprenions à redonner à la musique une place de choix, nous retrouverions tous les bénéfices et les pouvoirs exceptionnels qu’elle apporte à nos vies.
Olivier Mesnier, Professeur de guitare et musicien
(1) REY Anne, SATIE, col. SOLFEGE, Ed. Seuil, Paris, 1974
(2) Rapport annuel de la SACEM, 2001, p. 6