Le Criquet N°260 - La musique et la magie du collectif
Voici mon dernier rédactionnel paru dans le Criquet magazine N°260 de janvier 2023 en page 4.
Musiciens en herbe
Une des contraintes de l’apprentissage de la musique est la solitude. Pour apprendre à jouer d’un instrument de musique, il faut répéter seul des heures et des années durant des exercices, des morceaux, des gammes dans toutes les tonalités et tous les tempos. Je me souviens de mon propre maître de guitare qui me disait : “Le musicien est un solitaire”. Et puis un jour il faut sortir au grand jour et enfin se dévoiler auprès d’autres artistes puis du public. Selon les individus, ce premier rendez-vous musical avec le monde extérieur peut-être terriblement excitant ou difficile à assumer. On parvient à s’y habituer quelquefois. Certains ont un trac terrible durant toute leur carrière comme Barbara Streisand qui oublia les paroles de ses chansons durant un concert à Central Park tant son stress était handicapant ; ou Luciano Pavarotti qui, avant de monter sur scène, se répétait “Je vais mourir” en ayant la certitude qu’il allait chanter faux et mourir de honte. D’autres arrivent à maîtriser ce stress extrême par habitude ou avec des rituels qui leur sont propres. Et heureusement car la musique est faite pour être partagée et offerte aux autres. Jouer dans un groupe, avec plusieurs musiciens, c’est découvrir une énergie collective dont on ne soupçonnait même pas l’existence. En musique classique, cette confrontation entre le soliste et l’orchestre donnera le style concerto où un dialogue s’opère entre un virtuose et l’ensemble qui l’accompagne. Chaque instrumentiste du groupe va avoir un impact inévitable sur ses pairs musiciens. Construire une sonorité collective c’est apprendre à écouter l’autre plus que soi, à considérer le silence et le rythme des autres. Parfois – dans le jazz, le gospel ou le flamenco – un soliste est mis en avant par le groupe et si l’alchimie opère, celui-ci devient un magicien en transe qui transmet au monde l’énergie de ceux qui l’accompagnent. C’est exactement ce qui anime l’esprit du Duende en Flamenco, ce moment où les musiciens livrent ce qu’ils ont au fond de leur âme. Un instant de grâce absolue où la musique sort du temps pour devenir un moment d’éternité. Ainsi elle peut être transcendée et délivrer une émotion qui va bien au delà de ce que les mots peuvent décrire.
Olivier Mesnier